ÉTAT DES ACTIVITÉS DU REPHI 2021 2022

Rencontres du réseau

            « La prévention des génocides culturels » (Institut Catholique de Paris, 6 Décembre 2021), publié dans : Histoire de la justice, 33, 2022, p. 121-133 

Animations à partir du réseau

             « Hommage à Desmond Tutu » (Abbaye saint Jacut de la Mer, 26 Décembre 2021)

            « Enjeux philosophiques d’un génocide : le cas du Rwanda, le sens du Juste » (Musée de la résistance de Bondues, 29 janvier 2022)

            « Pour une anthropologie philosophique des religions » (formation EMOUNA, Science-po Paris, 14 mars 2022)

            « La question des génocides culturels » , « présentation du rapport Stora (et dialogue avec l’auteur) » (session de formation « La justice dans les tourmentes de l’histoire », Ecole nationale de la Magistrature, Paris, 27-30 septembre 2022). Avec une intervention de R. Salas « Quelle justice pour les Mapuche du Chili ? »

Enseignements

            « Religions et politique en Europe », Séminaire de master bilatéral Université Catholique de Lille-Université d’Aix la Chapelle

Participation à des colloques

            «  Le sens de l’espérance », Colloque de philosophie interculturelle, Aix La Chapelle, 22-25 mars 2022

            « Le Père Jean Nicolas, un missionnaire franco-roumain à Odessa », Colloque « Unité dans la diversité », Centre St Pierre St André, Bucarest, 13-14 mai 2022

Participation à des soutenances de thèse et jurys HDR :

            George Ajith, La possibilité d’une non philosophie chez Jacques Derrida, thèse de doctorat canonique en philosophie soutenue à l’Institut Catholique de Paris, 21 mars 2022

            Cathy Leblanc,  L’herméneutique de la barbarie à l’épreuve du phénomène concentrationnaire nazi, thèse d’habilitation soutenue à l’université de Strasbourg, 15 mars 2022

Publications :

            J.-F PETIT, C. LEBLANC (dir), L’humanité à l’épreuve de la déportation, Geai bleu ed., 2020 (avec un dossier de quatre textes sur Tzvetan Todorov de membres du REPHI)

            « L’avenir de la mission en Europe hors des sentiers battus », Spiritus, 247, juin 2022, p. 128-177

            « La torture, une question culturelle ? », Concordia, 82, 2022, p. 59-64

Webographie : (voir le site du REPHI)

            « Quelle phénoménologie de la terreur terroriste ? » site du Rephi, 14 février 2022

            « Le terrorisme au Burkina Faso : que faire face à l’ennemi ? », Contribution d’Alice Sombda

Préfaces et postfaces

            S. DESCAMPS-WASSEF, Dictionnaire sélectif biobibliographique des savants orientalistes, Ed. Orizons, 2021

            J.-P. SAGADOU, Quand la vie religieuse se fait Ubuntu, Bayard Africa, 2022

            T. R. C. ANDRIAMPARANY, Hans Jonas et l’écologie. Vulnérabilité et responsabilité, L’Harmattan, 2022

            J. V. L. KOUWAMA, Décoloniser la pensée, inculturer l’Evangile : une lecture de Walter Mignolo et du pape François, L’Harmattan, 2022

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Conférence à venir

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La peine de mort, une atteinte abominable à la dignité humaine

Jean-François Petit
Professeur à la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, directeur du Rephi

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UKRAINE, UN AN APRÈS

Sur l’accusation de génocide

Depuis plus d’un an, la guerre fait rage en Ukraine. Comme toutes les guerres, elle charrie aussi son lot de lexiques idéologiques, de connotations assertives. Des expressions du sens commun sont détournées pour devenir agressives et militantes. Des mots tombent dans l’arcane de la propagande. Tel est le cas du concept de génocide. Celui-ci est l’objet d’un usage démultiplié par la rhétorique pro-russe, renversant du même coup la responsabilité de l’agresseur et de l’agressé.

En rigueur de terme, un génocide correspond à une logique planifiée, règlementée, scientifiquement menée, avec tout l’arsenal d’une bureaucratie. Il est l’expression d’une logique sui generis de stigmatisation et haine envers des individus ou des groupes.  Un génocide comporte généralement trois caractéristiques essentielles : une programmation calculée d’une extermination systématique des populations-cibles ; une puissance d’organisation de rationalisation et de contrôle de son exécution, le plus souvent d’un Etat ou de groupes de persécuteurs qui en sont chargés ; une propension à l’entourer de secret et de stratégies de camouflage.

L’origine du terme génocide vient d’un spécialiste de droit international, Raphaël Lemkin pendant la Seconde guerre mondiale. Son livre Axis Rule in occupied Europe en 1944 l’aura défini comme « la pratique de l’extermination de nations et de groupes ethniques » sous la forme d’attaques synchronisées contre la société et la culture, la construction nationale et politique, jusqu‘à mettre en jeu l’existence physique tantôt par dépérissement à coups de privations, tantôt par assassinats de masse ».

Ainsi, parler de « génocide du peuple russe », n’est-ce renverser les rôles et favoriser une sémantique et une problématique biaisées, dans ce qui relève d’abord d’une guerre d’annexion ? Surtout, quand elles s’accompagnent d’une rhétorique de « désinfection » et de « dénazification » de l’Ukraine, qui paya, elle aussi, un lourd tribut à la lutte contre l’occupant nazi ?

Ces détournements de sens ne montrent pas simplement une haine viscérale portée à l’Ukraine, qui n’est considérée que comme une marionnette de l’Occident. Ils témoignent d’un tableau plus sophistiqué des formes contemporaines de guerre, aux rouages multiples, notamment via les réseaux sociaux, ici dans la volonté de déstabiliser et de manipuler les opinions publiques, en créant un brouillage systématique.

Certes, depuis une année, les improvisions, le poids de la conjoncture viennent imposer des réalisations plus tortueuses à la guerre d’annexion de l’Ukraine :  un régime composite, ramifié, mouvant comme celui du Kremlin est aussi en proie à des contradictions et à des rivalités internes, à des dysfonctionnements de son appareil de plus en plus totalitaire. La planification depuis plusieurs années de la guerre par les responsables du KGB se heurte, dans son exécution, à la réalité du pilotage et du contrôle de systèmes bureaucratiques, économiques et militaires diversifiés et parfois peu opérationnels, chacun ayant des modalités spécifiques d’organisation dans des régimes d’autonomie, de semi-autonomie, de délégation. Les responsabilités se diluent et se répartissent alors de façon imprévue, au gré des événements inattendus, notamment de la résistance vigoureuse de la population ukrainienne.

En tout état de cause, un génocide n’est pas que l’affaire d’une petite clique de fanatiques ou de brutes. Il implique des participations actives et passives, des comportements ordinaires, tels ceux de bourreaux qui rentrent chez eux le soir et se comportent en « bons pères de famille », des actes annonciateurs, comme nous avons pu le montrer, dans le cas des destructions de biens culturels.

La recherche sur les génocides suppose ainsi d’autres éclairages que la seule mise en lumière des stratégies d’élimination, dans une étude plus approfondie du rapport dialectique entre les bourreaux, les victimes,  les alliés, les populations soumises et celles qui s’avèrent de facto complices. Il faut ici mesurer plus finement ce qui, notamment, dans l’opinion publique internationale, relève de l’indifférence, du calcul, de la « raison d’État », comme ce fut le cas dans l’attitude de la France vis-à-vis du génocide des Tutsis.

Dès lors, les analyses doivent être démultipliées : à l’approche sociopolitique de l’univers génocidaire doit particulièrement s’ajouter une anthropologie sociale des groupes traumatisés par une guerre totale et une philosophie du langage génocidaire. Celui-ci fonctionne généralement à coup de simplifications, de pseudo-argumentations, d’actes de langage.

Une rhétorique génocidaire martelée via les formes contemporaines de propagande conduit particulièrement à des transferts de normes, des dérèglements moraux et une situation d’anomie. Dès lors, les paliers successifs d’acceptation des génocides méritent d’être étudiés avec précision : ceux-ci vont de l’ignorance (qui peut servir d’alibi ou d’excuse), à l’indifférence (passivité ou apathie) ou carrément à l’acquiescement (acceptation, adhésion prononcée aux formes de « guerre préventive », de stratégies « d’autodéfense »).

Dans tous les cas, la réalisation de génocides est favorisée par la propension à l’amnésie chez beaucoup et la volonté révisionniste ou négatrice de quelques-uns, comme l’a très bien montré Donatella Di Cesare. Il faut donc collecter, provoquer, scruter et interpréter les témoignages de rescapés, convoquer l’histoire et l’organiser méticuleusement.

En effet, face aux génocides passés, il faut ressentir les dangers de l’oubli. On doit dans ce cas reconnaitre les droits de la mémoire comme le demandait Ricoeur car il est parfois difficile même d’imaginer de telles atrocités. Dans ce cas, il ne s’agit pas laisser l’inimaginable devenir l’indicible. Jankélévitch demandait même de ne pas refuser l’imprescriptible. Dès lors, la mise en place de politiques de la mémoire, à laquelle tous peuvent concourir, des témoins aux pouvoirs publics, s’avère particulièrement nécessaire, comme le préconisait l’historien François Bédarida. L’enjeu est de pas laisser les actes génocidaires échapper, s’évanouir et disparaitre de l’esprit des hommes. Prendre la parole sur ces crimes s’avère souvent un acte difficile et courageux :  la « chappe de plomb » du silence, de la honte ou de la sidération peut être dure à percer. Mais le jugement des bourreaux, la lutte contre l’impunité comme l’accompagnement des victimes et rescapés sont à ce prix.

Des pièges guettent particulièrement ceux qui sont sur la trace des génocides : la discordance entre les moyens utilisés, souvent pauvres, et la ruse des génocidaires ; l’inadéquation des moyens utilisés et l’infini de l’horreur ; le quotidien de la vie ordinaire et la plongée dans l’abime. On peut se demander au final quelle est encore la place pour une approche raisonnée, scientifique, rationnelle, analytique d’un génocide, se gardant de toute eschatologie, quand il s’agit d’abord de l’expliquer.  

A la vision de politiques génocidaires préméditées, il est désormais souvent opposé, à juste titre, que les génocides sont souvent l’aboutissement d’une succession de mesures improvisées. Celles-ci vont en se radicalisant sous l’effet de rencontre entre un régime politique au fonctionnement autoritaire et des circonstances particulières, où la peur de sa propre destruction est souvent un mobile puissant et instrumentalisé.

Ainsi, l’extermination génocidaire n’est-elle que le résultat de ce processus de radicalisation plutôt que l’exécution d’un programme ? De ce point de vue, la fanatisation encourage la radicalisation, mais d’autres dynamiques, telles celles de l’intimidation, de la stigmatisation puis d’extermination peuvent être mises en œuvre. La structure et la dynamique d’un régime totalitaire font que la criminalité, le pillage, l’utilisation de groupes paramilitaires à grande échelle deviennent une modalité acceptée, voire encouragée, de fonctionnement politique.

Dans ce cas, il s’agit bien de saisir le fonctionnement typique de l’État génocidaire : son organigramme des communications verticales et horizontales ; ses différents processus décisionnels ;  ses phases ; son « style » et  sa technique du pouvoir ;  ses contraintes et ses opportunités. Dans la majorité des cas, il repose sur le muselage de l’opinion publique, la stéréotypisation des conduites, le compartimentage et secret sur la mission et les tâches.

Mais même dans un État génocidaire, tout ne peut être contrôlé.  Dans les relations existantes, on peut certes repérer des différences entre les dispositions caractérielles et idiosyncrasiques et les convictions profondes ; les réalisations génocidaires effectives et les intentions et objectifs véritables. Dans les différents cas de figure, du Cambodge au Rwanda, le style et la technique de gouvernement se concrétisent dans des structures institutionnelles totalitaires qui se replient sur elles-mêmes.

Dès lors, il leur devient plus facile de mettre en œuvre leur stratégie de confusion des esprits, de favoriser un ébranlement général, un désordre et la production d’erreurs de jugement des situations. Les transgressions sont globalisées sous le terme générique d’atrocités, renvoyant dos-à-dos les agresseurs et les agressés, ce qui conduit à oblitérer les différences, à empêcher toute hiérarchisation, à confondre les phénomènes d’ampleur et de signification, telle la théorie oiseuse du « double génocide » au Rwanda.

Aujourd’hui, les effets de la guerre et d’un régime oppressif aux portes de l’Europe occidentale met en grande difficulté les normes de reconstruction de la paix et les orientations fondamentales nées de la Seconde guerre mondiale. La conséquence ultime est en la perte du sens de la normalité et la production d’une sorte de pétrification de la conscience. Hannah Arendt reconnaissait la difficulté d’utiliser les sciences sociales pour étudier les camps de concentration. Il en va à fortiori aujourd’hui pour l’analyse philosophique des phénomènes génocidaires.

                                                                                               J.-F. PETIT

                                                                                               Directeur du REPHI

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 « Les droits humains au prisme des particularismes culturels : Quelle alternative ? ».

Essodina BAMAZE N’GANI

Alors que l’universalité proclamée des droits humains constitue un paravent de sécurité et de protection de tout être humain, sa mise en œuvre pratique bute sur de multiples résistances culturelles. De fait, la présente réflexion affirme tout de go l’expression transcendante de l’universel comme lieu d’une extranéité juridique. Cette extranéité, postulons-nous, est la source d’une haie de haine particulariste contre l’universalité des droits humains. Au compte de cette hypothèse, qui s’illustre dans la pratique des excisions, le présent développement propose la traduction du langage universel des droits humains à l’échelle locale de chaque culture. La traduction constitue l’antidote efficace à toute parade particulariste dans la mesure où, argumentons-nous, un espace de responsabilité collective en faveur de leur promotion nous semble en résulter. Dans les termes de cette résultante, les présentes lignes entendent repenser le fondement de cette universalité comme enracinée pour, partant, démontrer la pertinence de la traduction. En conséquence, la vision transcendante des droits humains (le droit pareillement) se trouve suppléée par leur vision enracinée aux sociétés qu’ils sont appelés à régir. Ce sans quoi ces droits resteront toujours perçus à l’échelle endogène des cultures comme résidant en territoires étrangers. De là découle leur ineffectivité.

Lire plus. Voir le lien https://www.researchgate.net/publication/362806376_Les_droits_humains_au_prisme_des_particularismes_culturels_Quelle_alternative

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L’éducation chez Platon et Joseph Ki-Zerbo :

Prolégomènes à une refondation des systèmes éducatifs en Afrique, thèse présentée par

Noumoutié SANGARÉ

Le 27 janvier 2023, nous avons pu assister en distanciel à la soutenance de thèse de doctorat en philosophie de Noumoutié SANGARÉ. La présentation de la thèse, portant mention de philosophie de l’éducation, avait lieu à l’Université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou, au Burkina Faso. Le jury était international et composé de cinq professeurs : David Musa SORO (président du jury, université de Bouaké) Fatié OUATTARA (Université J. Ki-Zerbo, directeur de thèse), Jacques NANÉMA (Université J. Ki-Zerbo), Jean-François PETIT (Institut Catholique de Paris, en distanciel), Rodrigue Paulin BONANE (Maitre de recherches, Ouagadougou).  

  1. Présentation générale du sujet

La philosophie est une façon de penser les problèmes humains, le plus possible avec pragmatisme et réalisme. Pour ce qui la concerne, la théorie de l’éducation chez Platon n’est ni dogmatique, ni exclusive, ni définitive. Bref, elle n’est pas universelle. C’est pourquoi la philosophie ne donne pas toujours des résultats apodictiques. Paradoxalement, comme l’affirmait Novalis, tous les problèmes insolubles d’une manière définitive constituent, pour la recherche, « une nourriture au-delà de toute gratitude »[1]. Car, dans la recherche des solutions, la méthode ou l’approche peuvent être aussi importantes que les réponses apportées elles-mêmes. Une telle acceptation de la finitude de la science philosophique fait sa beauté, c’est-à-dire un art et non un métier.

     Néanmoins, il arrive que les éclairages sur grandes questions philosophiques s’inscrivent soit dans une tradition qui éclaire le présent, soit anachroniquement : dans ce cas, le présent  fait recours sur la tradition en vue d’une réception ou d’une appropriation adéquate et actualisée. Telle est la méthode choisie ici par le doctorant Noumoutié SANGARÉ. Grâce à son engagement dans le système éducatif de son pays[2], il aura puisé aux sources de la tradition (Platon) ainsi que celle de la modernité (Ki-Zerbo) pour comprendre leur conception de l’éducation. En quoi leurs deux approches discursives peuvent-elles servir de tremplin pour la refondation des systèmes éducatifs en Afrique, et de là opérer un basculement de « l’être-pour l’autre à l’être-pour-soi-avec-l’autre » ? Tel était l’enjeu de la thèse.

  • Les lignes directrices de la thèse

La première partie de la thèse est une analyse historique des « fondements socio-culturels de la théorie l’éducation de Platon et de J. Ki-Zerbo ». La seconde partie traite « Des théories de l’éducation de Platon et de Ki Zerbo » du point de vue ontologique, anthropologique et politique. Enfin, la dernière partie intitulée « Perspectives platonicienne et kizerbienne pour l’école africaine » présente la crise de l’école africaine comme une crise de maturité, ou plutôt, à notre sens, comme une crise de maturation. Des nouvelles finalités et stratégies éducatives innovatrices y sont proposées pour l’école d’aujourd’hui et de demain en Afrique.

Le point de départ de cette étude comparative aura été de faire une investigation historico-philosophique afin de vérifier le rapport de parenté épistémologique entre Platon et Ki-Zerbo. Arrêter la recherche à ce niveau aurait eu un intérêt limité. C’est pourquoi sa démarche méthodique a consisté plutôt à faire un travail de « rétrospection, d’introspection et de prospection afin d’identifier le nœud gordien du problème africain et le point archimédien à partir duquel la tendance peut être renversée ». De ce fait, le doctorant a dû présenter des clarifications sur les trois points constitutifs :

  • Montrer la similitude de l’ancrage sociopolitique des pensées ki-zerbienne et platonicienne et montrer la place centrale que l’éducation occupe dans les deux processus discursifs ;
  •  Montrer la similitude de l’approche théorique des finalités éducatives, du plan d’éducation et de la méthode pédagogique chez les deux auteurs ;
  • Enfin, dégager les lieux d’intérêt des deux théories de l’éducation pour les systèmes éducatifs africains.
  • Soutenance et discussion avec les membres du jury

     Durant sa soutenance, le doctorant n’a pas fait une simple juxtaposition des deux penseurs. Au contraire, c’est par une dialectique spatio-temporelle et épistémologique que la problématique de l’éducation a été abordée. Car si l’Académie de Platon visait à former les hommes aptes à gouverner les cités « justes » de la Grèce antique, tel n’est pas le cas chez Ki-Zerbo. Ce dernier prône une éducation holistique car la personne humaine étant pluridimensionnelle (Edgar Morin) et les événements disparates. Cet érudit de l’histoire savait bien combien « il y a une histoire parce qu’il y a une humanité »[3] ; et là où il y a l’histoire, il y a philosophie. Ensuite comme le dénonçait déjà Emmanuel Mounier, l’éducation ne doit pas être livresque ni viser l’économique car « le primat de l’économique est un désordre historique dont il faut sortir »[4].  Le rapprochement donc de ces deux grands hommes aux destins différents, l’un, Platon, aristocrate, philosophe, politicien manqué et l’autre, Ki Zerbo, historien de renom, politicien, et théoricien de l’éducation arrivait à point nommé.

     Dans sa discussion avec les membres du jury, le doctorant a répondu à leurs préoccupations rédactionnelles sur la forme et sur le fond. Ensuite, plusieurs questions lui ont été posées. Citons entre autres : Comment introduire la dialectique dans le système éducatif national ? L’introduction de la relation peut-elle faciliter l’éducation ? L’enseignement est-il devenu universalisable grâce aux nouvelles technologies ? Quels mérites et limites du système éducatif traditionnel ? Peut-on parler de la « faillite de l’enseignement blanc en Afrique noire » (Cellis), ou plutôt qualifier votre thèse d’une tentative de rapprocher l’école de son milieu culturel ? Quel programme national mettre en œuvre pour accélérer l’émancipation, l’autonomisation et l’auto-éducation des managers et leaders d’Afrique ? Les réformes éducatives préconisées par Ki-Zerbo sont-elles proches de la révolution politique de Thomas Sankara ? Ki-Zerbo est-il le nouveau Socrate Africain ? Pourquoi le socle de l’éducation formelle, et non formaliste, tout comme celui de la philosophie doit-il viser l’éducation de l’homme à être et non à avoir ? Peut-on faire un rapprochement entre Joseph Ki-Zerbo et Emmanuel Mounier pour l’éveil de l’Afrique noire ? À quand l’école des leaders et managers africains ? De quel Platon s’agit-il dans votre thèse ? Pourquoi l’école ne forme que des théoriciens, et quelle stratégie mettre en place pour l’appropriation et la réception de votre thèse afin que tous les travaux des chercheurs soient accompagnés par une dimension pratique ?

La thèse de Noumoutié SANGARÉ s’ inscrit dans une philosophie de l’histoire sensible à la dynamique réformiste de l’éducation au Burkina Faso dans un contexte de crise postcolonial. Selon le doctorant, l’éducation, devrait être un processus de formation et d’autonomisation des personnes, comme le souhaitaient Platon et Ki-Zerbo.

 L’ère actuelle n’étant plus à l’autarcie ni à l’autisme, ou encore à la recherche d’une quelconque légitimation africaine, il faut métaphoriquement « changer les rails du système éducatif et non la vitesse du train» (Ki-Zerbo).

Peut-être, comme le recommandait Mounier le 23 avril 1947, pour mener à terme cette révolution éducative entamée et assumer irréversiblement leur originalité singulière, l’Afrique comme l’Occident auront-ils intérêt non pas à changer seulement « les rails » mais bien l’ensemble de l’appareil de leurs programmes éducatifs respectifs : « Il faut changer d’appareil. C’était pourtant une belle machine. Ainsi s’ensable l’Europe dans la colonisation. Elle y fit de grandes choses. De moins grandes aussi. Mais l’histoire a tourné. Il faut changer d’appareil »[5].  

     A l’issue de la soutenance, le jury a conféré au candidat le grade de Docteur en philosophie avec la mention « très honorable ».

                Juvénal Sibomana, doctorant en philosophie à l’Institut Catholique de Paris


[1] Legrand livre de philosophie. 29 concepts et 26 philosophes, Paris, Esi, 2012, p. 257. La citation complète est la suivante : « La philosophie vit de problèmes comme l’homme de nourriture. Un problème insoluble est une nourriture au-delà de toute gratitude ».

[2] Noumoutiè SANGARÉ est Inspecteur de l’enseignement primaire et non formel au Burkina Faso.

[3] MOUNIER, Emmanuel, Le personnalisme, Paris, PUF et Quadrige, 2020, p. 99 ; Voir aussi le triptyque humanité-histoire-philosophie chez JASPERS, Karl, Introduction à la philosophie, Paris, Plon, 2019, p. 101-115, traité de l’histoire de l’humanité.

[4] MOUNIER, Emmanuel, Le personnalisme, op. cit., p. 121.

[5] MOUNIER, Emmanuel, L’éveil de l’Afrique noire, Paris, Presses Renaissance, 2007, p. 151.

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LE TRAVAIL A L’ÉPREUVE DE LA DÉPORTATION

COLLOQUE INTERNATIONAL INTERDISCIPLINAIRE A l’Institut Catholique de Lille et Aux Archives Nationales du Monde du Travail à Roubaix Du 9 au 11 mars 2023

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Que reste-t-il de l’œuvre de Karl Marx face aux mutations du monde contemporain ?

Essodina BAMAZE N’GANI, membre du REPHI

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INTERCULTUREL : DES EXPÉRIENCES VENUES D’AMERIQUE LATINE

Plus de 500 ans après l’évangélisation de l’Amérique Latine, l’Eglise catholique doit bien reconnaitre qu’elle ne maitrise pas totalement l’organisation des sociétés andines, leur culture, leur religion, leurs propres rites. Deux mondes vivent en grande partie en parallèle sur des orbites différentes. D’où la nécessité d’une approche radicalement interculturelle.

En ce sens, le dernier livre de Bertrand Jegouzo, fort d’une solide expérience en Equateur et de sa capacité de reprise théorique, est riche d’un propos constructif et engagé sur le sujet[1]. Il y exhume la belle figure de Mgr Proano, évêque de Riobamba de 1954 à 1985. Celui-ci avait su, en son temps, accueillir et traduire les questions de fond posées par la culture quecha des Andes. Il reconnaissait avec raison qu’Amérique Latine, des personnes et des groupes se sont structurées pendant des siècles dans des formes de dissimulation, tout simplement pour éviter l’extermination par les forces dominantes.

Pour sa part, Bertrand Jégouzo croit difficile de revenir en arrière d’une Eglise historiquement conquérante et dominatrice, sûre de son fait, imposant ses églises, ses rites et son quadrillage territorial. Selon lui, il ne s’agit pas de nier le passé mais plutôt de le réévaluer. Pour ce qui les concerne, les missionnaires français n’étant pas liés à la colonisation espagnole, il leur aura peut-être été plus faciles de prendre de la distance et d’être accueillis plus favorablement par les populations indigènes. Mais le travail sur les représentations et perceptions de l’autre reste aujourd’hui largement inachevé. Croyances indiennes et culture catholique se sont mélangées pour former le métissage actuel. Mais contribuent-elles à maintenir une vie sociale solidaire, alors que l’Amérique Latine est en proie à bien des turbulences ?

 Plus largement, ce livre montre que la reconnaissance d’autres visions du monde que la sienne aide à entrer dans le respect et l’estime. Comprendre la logique de l’autre et accepter de le rejoindre suppose aussi de ne pas chercher à instrumentaliser les relations. Dans ce cas, une situation de « présence-absence », comme la pratique missionnaire devrait l’apprendre, permet de créer plus facilement dess situation d’écoute, d’échange, de dialogue, où l’autre ne se sent pas dépouillé de son autonomie et de sa liberté.

Hélas, bien des stéréotypes et des préjugés continuent aujourd’hui à être transmis par l’éducation, y compris entre milieux sociaux différents en Amérique Latine. Il est donc encore nécessaire d’interroger nos propres comportements et nos propres sociétés pour éviter parfois de s’engager dans des situations inextricables, notamment entre le Nord et le Sud. En Amérique Latine, comme ailleurs, il n’est sans doute pas facile de changer ces inégalités structurelles créées par des siècles de colonisation. De fait, les structures mentales enracinées dans l’histoire évoluent très lentement.

 Pourtant, l’on voit aussi que les thèmes écologiques défendus par les groupes Indiens, hélas marginalisés pendant des siècles, sont aujourd’hui sur le devant de la scène publique. Sans insister sur l’impact du Synode sur l’Amazonie, cet ouvrage montre que la survie de tous en dépend désormais.

                                                                                                              J F Petit


[1] B. JEGOUZO, Evangélisation ou domination ? Le choc des cultures dans les Andes équatoriennes, Ed. Karthala, 2022

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Culture et Panafricanisme : une approche à partir de la philosophie interculturelle, thèse présentée par Rodrigue Komivi Nono ABOTSI  

Le 15 décembre 2022, dans le Palais abbatial de l’Institut Catholique de Paris sis au site Saint-Germain-des-Prés au cœur de Paris, nous avons assisté à la soutenance de thèse de doctorat canonique en philosophie de Rodrigue Komivi Nono Abotsi. Le Jury était composé de quatre professeurs : Jean-François Petit (ICP), Fred Poché (Université catholique d’Angers), Hélène Buechel (Barcelone) et Marc Grassin (ICP), président du jury.

Préambule

Le point de départ du doctorant aura été son inquiétude philosophique face à la crise systémique et profonde de l’Afrique postcoloniale contemporaine. Cette crise aura eu comme conséquences tangibles deux attitudes apparemment contradictoires mais également dommageables pour les sociétés : l’aliénation culturelle et un repli culturel prenant sa source dans un ressentiment contre l’Occident. La problématique centrale de la thèse était donc d’envisager comment opérer la libération de l’Afrique par une philosophie interculturelle appropriée. Autrement-dit, d’essayer de comprendre, de répondre et de proposer une voie philosophique aux personnes qui se sentent comme « assises à cheval » sur deux ou plusieurs cultures à la fois.

 Un point important de cette soutenance fut de s’interroger sur le REPHI (Réseau de philosophie interculturelle) : comment pourrait-il jouer un rôle dans le mouvement programmatique et constructif de renaissance africaine aujourd’hui en cours ? Pour y parvenir, le doctorant a organisé son argumentation en trois parties : les ancêtres de l’avenir : l’utopie politico-culturelle du panafricanisme, puis la problématique culturelle dans l’Afrique postcoloniale, et enfin le panafricanisme à l’épreuve de la philosophie interculturelle.

Lignes maîtresses de la thèse

Dans la première partie « les ancêtres de l’avenir : l’utopie politico-culturelle du panafricanisme », a été donné un état des lieux et une rétrospective historico-philosophique du panafricanisme outre-atlantique et africain. Les trois auteurs étudiés furent Edward Wilmot Blyden, William Du Bois et Kwame Nkrumah. Le premier aura été, aux dires du doctorant, prisonnier d’un essentialisme biologique parce qu’il « opposait une position raciste à une proposition raciste ». Le second eut recours au concept de race comme stratégie de libération. Quant au dernier, il conceptualisa le panafricanisme sous le néologisme de conscientisme. Sans en avoir atteint l’objectif politique d’unité des peuples noirs en général et d’Afrique en particulier, les théories nationalistes de ces trois auteurs auront fait des valeurs culturelles noires le fondement de la solidarité noire. Ils auront contribué pour une large part à  la maturation du concept de panafricanisme.

            Dans la deuxième partie, « La problématique culturelle dans l’Afrique postcoloniale », le doctorant s’est interrogé sur l’imaginaire et le vécu postcolonial à travers trois facteurs : la langue, la conscience historique et la psychologie du colonisé. L’impétrant mis ainsi en évidence la scissiparité qui traverse l’être et le monde africain. La vérité est qu’aujourd’hui l’Occident est partout présent dans les structures et dans les esprits africains, de sorte que seule une épistémologie intégrative des valeurs africaines, euro-chrétiennes et arabo-musulmanes pourraient l’aider à reprendre l’initiative historique.

            Enfin, dans une dernière partie, « Le panafricanisme à l’épreuve de la philosophie interculturelle », le doctorant a proposé une déconstruction de l’idée de tradition africaine qui conduirait, selon lui, à l’idéalisation du passé par une sorte de fixation oblitérant la pluralité inhérente au passé africain et qui se perpétue dans le présent. Grâce à l’herméneutique de la notion de tradition du philosophie Raùl-Betancourt, il a été proposé de « resignifier » le concept même de tradition en le sortant des impasses de cet espace-temps clos dans lequel l’ont installé les pères du panafricanisme. Une philosophie dite « du tamis », conclut-il, peut contribuer à avoir un « juste rapport au passé africain et à la modernité ».

Discussion avec le Jury

Le professeur Jean-François Petit, directeur de thèse,a évoqué les liens anthropologiques et épistémologiques qui l’unit aux peuples et aux auteurs philosophes africains. Il a rappelé que nous étions dans un « temple de l’augustinisme » mais aussi un quartier de Paris qui a forgé la conscience noire des années 1940. Il s’est aussi réjoui pour l’Institut catholique de Paris d’accueillir sa première thèse entièrement centrée sur la philosophie interculturelle.

Selon lui, cette thèse n’est pas une apologie du panafricanisme, qui lui-même est un concept sujet à caution. Une modération des ambitions du doctorant et un retour aux sources reste de ce fait nécessaire. Mais cette thèse réalise bien une « brèche transgressive » car le doctorant a fait une clinique culturelle et une reprise différentiée des auteurs panafricains ou euro-centrés qui en fait en restaient à un universalisme abstrait. « Ce tournant radicalement historique de la philosophie interculturelle méritait d’être opéré ». Par contre, à ses yeux, « la transformation interculturelle de la philosophie est loin d’être achevée ». Après la réponse à son unique question, « Comment estimez-vous avoir conjugué la théorie et la pratique votre thèse ? », le professeur a conclu en ces termes : « Nos institutions universitaires ont besoin de se réformer ».

Le professeur Fred Poché, dit avoir apprécié une introduction stimulante mais un peu en contraste avec la conclusion. La philosophie interculturelle peut avoir une utilité sociale forte et elle a besoin à la fois de cette « épaisseur académique » et de « la réalité du monde ». « Une thèse reste aussi la photographie d’auteurs à un moment donné » a-t-il souligné. Il a, en outre, jugé la réflexion sur la langue vraiment stimulante. En revanche, certains auteurs espagnols et anglais auraient pu être mieux cités (Raùl-Betancourt) ou figurer dans le corpus (Walter Mignolo, Cornel West, Anténor Firmin, etc.). Ses questions ont porté surtout sur « l’essentialisme » et « le sens et les niveaux du dialogue » entre cultures et philosophies. Enfin, il a recommandé une certaine nuance en ce qui concerne les critiques de certains philosophes des Lumières.

La professeure Helene Buechel, coordinatrice de l’Institut de Philosophie interculturelle de Barcelone (Espagne), à la suite de ses prédécesseurs, a apprécié à sa manière la clarté de la thèse. Elle a noté positivement la critique de la notion de « tradition africaine », et les perspectives d’ouverture de la thèse permettant à l’Afrique d’être elle-même anthropologiquement mais aussi philosophiquement. Selon elle, un univers pluriel doit être fondé sur la solidarité. Il peut permettre l’Afrique mais aussi au reste du monde de s’ouvrir à lui- même pour pouvoir partager son être aux autres. Ses questions ont porté essentiellement sur : « Face aux utopies panafricanistes, comment développer un dialogue juste et équilibré entre philosophes africains et les autres philosophes du monde ? Quels sont les autres visions du vivre ensemble absents dans la thèse ?».

Enfin, selon le professeur Marc Grassin, président du jury, la thèse soutenue est une thèse à la fois intellectuelle, politique, pratique, et philosophique. Elle a notamment pour point de départ la théologie de libération. En ce sens, elle contraste avec les « universalismes décharnés » et son enjeu est vraiment la renaissance africaine. Il dit être resté un peu sur sa faim dans la troisième partie car la thèse avait une « bonne voie d’accès, un bel angle d’attaque mais la partie a été moins développé, structurée, charpentée » par rapport aux deux autres.

En guise de perspective d’ouverture de la thèse, il a proposé que le retour aux sources ne soit pas régressif. Citant Hans-Georg Gadamer, dans la Philosophie herméneutique, il a rappelé que l’évocation de la « tradition doit toujours être une fusion des horizons dans un processus d’actualisation » et que « l’innovation doit s’inscrire dans une tension productive ». Contrairement au doctorant, il a ajouté que la conversation, comme rencontre sans enjeux, est indispensable au processus dialogal entre cultures. Enfin, citant Bruno Latour, dans « Où suis-je ?»[1], il a proposé que la renaissance interculturelle puisse se faire grâce à une « reterritorialisation des rapports d’interdépendances » entre philosophies.

Conclusion

La thèse de Rodrigue Abotsi a voulu jeter « un pavé dans la mare » dans un monde de connaissances figées dans des univers clos. Elle a abordé, avec grande lucidité, la question de culture et du panafricanisme dans le contexte postcolonial pluriculturel. Elle a esquivé avec habileté les pièges d’une « ontologie universelle », d’un  «  concordisme linguistique »[2] et d’un « l’universalisme de surplomb ». Après la délibération, le jury a remercié le doctorant pour cette « philosophie engagée » et lui a conféré le titre de docteur avec mention Très Bien, « magna cum laude ».

Juvénal Sibomana, doctorant en philosophie à l’Institut Catholique de Paris


[1] LATOUR, Bruno, Où suis-je. Leçons du confinement à l’usage des terrestres, Paris, La Découverte, 2021.

[2] BIDIMA Jean-Godefroy, La philosophie négro-africaine, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2020, p. 27-28.

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POUR REDYNAMISER LE DIALOGUE EURO-MEDITERRANEEN,

APRROFONDIR RENÉ HABACHI, PHILOSOPHE ET POÈTE LIBANAIS ?

L’avenir de la paix dans le monde passe par le dialogue euro-méditerranéen. Depuis plusieurs années, des dispositifs innovants ont été mis en place, même si le devenir d’initiatives politiques controversées – dans des dispositifs allant jusqu’à  inclure la Lybie du général Kadhafi dans le « processus de Barcelone » institué en 1995 à l’initiative de l’Union européenne et de dix autres pays  riverains de la Mer Méditerranée – a subi les aléas de de l’histoire. Malgré quelques initiatives innovantes, les insuffisances  de l’Union pour la Méditerranée érigée en 2008 dont le secrétariat est basé à Barcelone concernant aujourd’hui jusqu’à 43 pays sont notoires. N’est- ce pas la preuve, non seulement d’intérêts géopolitiques divergents mais aussi d’une insuffisante maturation de la question sur le fond ?

Pour relancer cette ambition, l’Église catholique n’est pas restée inactive. Après un symposium à Bari en février 2020 pour travailler sur les problèmes migratoires et les échanges interculturels dans la région, les évêques de la Méditerranée ont tenu du 24 au 27 février 2022 une grande rencontre à Florence avec des maires. Celle-ci a abouti à la rédaction d’un texte commun, la « Charte de Florence » dans l’objectif non dissimulé de préserver la paix et de mieux respecter la diversité de toutes les communautés culturelles et religieuses.

 Cette initiative témoigne d’une forme de coopération originale entre des institutions publiques et des représentants religieux. Les uns et les autres ont commencé par reconnaitre la force et la légitimité de la diversité des éléments du patrimoine et des traditions de la région méditerranéenne. Cette reconnaissance n’avait pas pour seul but leur protection – alors que l’on sait par exemple que l’état de sites archéologiques est très préoccupant – mais bien aussi de favoriser la possibilité de sa transmission aux générations futures.

Ces défis sont éminemment concrets. Ils concernent aussi des situations aussi épineuses que celle des migrations ou de la pauvreté endémique de certaines zones du pourtour méditerranéen, qui empêchent l’accès à des droits fondamentaux comme l’éducation ou la santé, le travail. Dès lors, il a paru urgent de promouvoir des projets concrets d’inclusion culturelle, religieuse, sociale ou économique, reprenant en cela certains axes définis par l’Union pour la Méditerranée (« développement des entreprises », « enseignement supérieur et recherche », « affaires civiques et sociales », « énergie et action pour le climat », « transport et développement urbain », « eau et environnement » ) mais aussi plus largement les besoins culturels et religieux des populations locales.

Mais comment parvenir à de nouvelles solidarités universelles et des société plus accueillantes sans non seulement un partage plus équitable des ressources mais un changement de regard sur l’autre ? Certes certains cours sont déjà organisés en cette direction, comme par exemple ceux la fondation Anna Lindh sur les représentations de la Méditerranée, sur les valeurs et perceptions mutuelles, sur les interactions entre cultures, sur l’ouverture à la diversité et au vivre-ensemble.

Mais de ce point de vue, pouvons-nous éviter un retour aux analyses pionnières de René Habachi ? Le philosophe libanais, né en 1915 au Caire et mort en 2003 à Paris fut, en son temps, fondateur d’institutions académiques, de revues comme les « Cahiers de pensée méditerranéenne », président de la section de philosophie de l’UNESCO, poète, mais surtout d’une vaste pensée croisant le personnalisme – il ne masquait pas dans les années 1960 son admiration pour Emmanuel Mounier – et la phénoménologie, en constatant la nécessité de constituer une thématique propre à la rive orientale de la Méditerranée.

Dans son « maitre-livre » Orient, quel est ton Occident ? (Centurion, 1969), le philosophe n’hésitait pas à demander aux Orientaux de commencer par voir la part d’Occidental en eux.

Or il constatait que, comme l’Orient, l’Occident est multiple, en invitant à distinguer plus finement un Occident « merveilleusement apte au dialogue » de celui « casqué, botté » évidemment moins prompt aux compromis. Son pari était pourtant manifeste : l’Occident ne pourrait-il pas aider l’Orient à récupérer le meilleur de lui-même ?

En effet, l’époque était riche en recherches et témoignages comme ceux de Gardet, Berque ou Massignon. Mais Habachi développait aussi sa propre approche, à partir de ce qu’il considérait être les quatre ordres de la culture (empirique, scientifique, philosophique et révélé).  Le philosophe ne quittait  pourtant jamais le terrain des évènements de son temps : «  la crise de Suez de 1956, le conflit du Moyen Orient en 1967 ne sont-ils pas les illustration éclatantes de notre fraternité indissoluble en même temps que de notre impossibilité à être frères ? » demandait-il crument (Orient, p. 56). Sa pensée philosophique croisait maintes fois la psychologie : « Au mépris oriental venant d’une virilité humiliée, l’Occident répond par une virilité agressive » (Orient, p. 58). 

En son sens historique, la Méditerranée restera toujours pour lui un phénomène de culture, un trait d’union entre ses deux rives et les peuples qui la bordent, en remontant du Moyen Age à travers les Arabes et les gréco-romains jusqu’aux Assyriens, Phéniciens et Egyptiens, ce qui  ne devait pas, pour lui, empêcher pas le respect de valeurs syriennes, libanaises ou égyptiennes, en deçà de l’arabisme, du nationalisme et du communisme et de l’athéisme, dont il prévenait (déjà) les méfaits : « qui échappe à Dieu en Orient succombe au despotisme de la matière » dira-t-il

En somme, René Habachi entendait se situer « au rendez-vous de l’Orient et de l’Occident » (sic): il avait parfaitement vu que le monde glissait à l’uniformité car ce qu’on appelait transformation n’était au fond, dès ce moment, qu’une uniformisation grandissante. Cette fonte de tous les différentiels dans l’unité de l’espèce humaine appelait plutôt à regarder du côté de la notion « d’essence projective », comme l’avait bien repéré dans son commentaire de l’ouvrage en question le philosophe, lui aussi personnaliste, Jean Lacroix (« le Monde », 11 septembre 1959).

 Ainsi, pour Habachi, la rencontre de l’Orient et de l’Occident ne pourrait  pas se faire à partir d’une « neutralisation universelle » (Orient, p. 202)  mais bien d’une rencontre où chacun ne perdrait pas ses caractères spécifiques. Au fil des ans, son espérance resta intacte : « Viendra l’heure de la rencontre d’un Orient et d’un Occident égaux en dignité, pour une collaboration dont l’absence manquerait à la civilisation » (p. 8). Une belle invitation à approfondir la philosophie de René Habachi !

                                                                                              J F PETIT

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